Le manuel du Borderline
Préface de Moïra Mikolajczak
C’est une entreprise admirable que ce livre, qui relève avec brio deux grands défis : celui de mieux faire connaître au grand public ce trouble qu’on appelle « état limite » ou « borderline » et celui de fournir aux personnes qui en souffrent quelques clés pour mieux vivres avec elles-mêmes et avec les autres.
Faire connaître ce trouble au grand public au travers d’un livre à la portée de tous représente en soi une importante avancée tant l’état limite reste méconnu. Et cette méconnaissance porte préjudice autant aux patients qu’à leurs proches. Imaginons une personne souffrant de symptômes dépressifs. Si les symptômes sont sévères et persistants, il est hautement probable qu’elle finisse par se demander si elle ne fait pas une dépression. Cette question la conduira à se documenter, ce qui, d’une part, lui permettra de mieux comprendre ce qu’elle vit, et, d’autre part, l’amènera à chercher de l’aide, éventuellement à consulter. Une fois le trouble formellement diagnostiqué, l’étiquette ainsi posée rendra également ses proches plus conciliants vis-à-vis de son humeur morose, de son apathie, de son retrait. Il en va de même avec l’anxiété, les Tocs, les phobies, la maniaco-dépression et tous les troubles connus du grand public. Dans tous les cas, le fait d’identifier le trouble permet de mieux le comprendre, se comprendre, et se faire comprendre.
En rendant l’état limite accessible au grand public via un livre écrit dans un langage clair et illustré de nombreux exemples, les auteurs vont aider de nombreuses personnes à se reconnaître, et leurs proches à mieux les comprendre. Comme nous le notions plus haut, c’eut été en soi un apport suffisant. Mais les auteurs ne s’arrêtent pas là. Psychiatres spécialisés dans les troubles de la régulation des émotions et/ou la prise en charge des états limites, ils proposent également au lecteur d’entamer avec ce livre le chemin de la réconciliation avec soi… et avec l’autre.
Réconciliation avec soi d’abord, car la personne borderline se sent souvent dépassée par son passé, ses angoisses et toutes ces émotions qui n’ont de cesse de la submerger, à tel point qu’elle a parfois l’impression d’être à leur merci. Comme l’expliquent les auteurs, l’hyperémotivité et la difficulté à gérer les états émotionnels représentent l’une des caractéristiques majeures de l’état limite. À défaut de disposer de stratégies de gestion des émotions adéquates, l’individu les gère comme il peut en trouvant refuge dans l’alcool, le sexe, le jeu, ou même parfois l’automutilation. Ce que les auteurs montrent ici, c’est que tous ces comportements autodestructeurs ne sont que des mécanismes de défense contre l’angoisse ou le vide, et qu’il est possible de les remplacer progressivement par d’autres, plus sains.
Réconciliation avec l’autre ensuite… car les difficultés dans les relations interpersonnelles sont l’autre caractéristique centrale de la problématique borderline. L’enjeu ici sera d’éviter les répétitions destructrices, d’apprendre à faire suffisamment confiance à l’autre, d’accepter d’être aimé sans avoir peur d’être abandonné, d’être critiqué sans craindre d’être rejeté, d’accepter en somme que toute relation comporte des hauts et des bas, qu’il est possible de traverser de manière constructive…
Psychiatres régulièrement aux prises avec la souffrance des borderline, les auteurs évitent l’écueil qui consisterait à proposer des recettes simples pour venir à bout d’un mal complexe et multiforme. Au contraire, ce qu’ils proposent ici, c’est plutôt un miroir qui permet à la personne borderline de mieux comprendre ses réactions, de mettre des mots sur ce qu’elle vit. « On ne peut quitter un endroit que si l’on y est arrivé. » C’est le pari que font les auteurs : c’est en plongeant au coeur de soi-même, au coeur de nos difficultés que l’on trouvera la force de les dépasser. Heureusement, la souffrance du borderline n’est plus une fatalité. Plusieurs formes de thérapies présentées ici ont démontré des effets positifs et le livre s’achève sur une note optimiste : il est possible de devenir un ex-borderline !
Le Pr Moïra Mikolajczak a obtenu son Doctorat en Psychologie à l'Université de Louvain à Louvain-la-Neuve. Elle a effectué son post-doctorat au laboratoire de Psychophysiologie de Stanford, Californie. Elle est actuellement professeur de Psychologie à l'Université de Louvain et est directrice du laboratoire Intervention et Recherche en Compétence socio-émotionnelle. Ses recherches portent sur la compréhension des corrélats psychologiques et biologiques des compétences émotionelles, les voies par lesquelles elles influencent la santé, et les moyens de l'améliorer. Elle enseigne l' introduction à la psychologie et la psychologie de l'émotion et de la santé.
Coauteur avec Martin Desseilles de Vivre mieux avec ses émotions, Odile Jacob, 2013.
Préface de Martin Debbané
« Borderline », ligne frontière, presque folie. Aujourd’hui, l’utilisation de cet anglicisme psychiatrique se banalise progressivement avec son entrée dans le langage courant. Pourtant, les lecteurs intéressés par ce livre connaissent sans doute la douleur d’être qui règne dans la vie d’un individu aux prises avec des « états limites ». Entre ce mal-être persistant et la définition psychiatrique du « trouble de la personnalité borderline », quels sont les liens ?
L’existence « aux limites de la frontière », toujours aux limites du supportable, recèle certains paradoxes : de l’intérieur, ces états mettent en scène un bal émotionnel chaotique et imprévisible, sous l’emprise de l’impulsion, de la rage et de la colère. Les passions vives s’enflamment, mais très vite déçoivent, violemment. Le profond vide ressenti ne peut alors être chassé que par une autre douleur, souvent auto-infligée. Une angoisse envahissante peut également conquérir ces états, à un point tel que les limites de soi se troublent à en perdre leur sens. Que s’est-il passé ? On semblait pourtant s’entendre avec les autres, parfois si bien que l’espoir renaissait, de toutes ses forces. Hélas, arrive inévitablement le jour où les uns et les autres ne se comprennent plus, se repoussent et se rejettent, se déchirent. Les uns après les autres.
Comment définir ces multiples tourments ? Comment gérer les relations aux autres ? Que faire pour aider, pour s’aider ?
Là encore, la recherche de soins appropriés s’annonce difficile. Sur son chemin se pose un défi de taille, celui de trouver quelqu’un qui comprend. Les professionnels de la santé mentale, médecins, « psys » et autres professions alliées tentent bien d’aider, mais souvent ne semblent saisir qu’une partie du problème. Ils annoncent des diagnostics et préconisent des traitements qui, au mieux, modulent légèrement la souffrance. Puis tombe le verdict : « trouble de la personnalité borderline (TPB) ». Pourriez-vous répéter s’il vous plaît ?
Où situer ce trouble de la personnalité ? Est-ce seulement la vision des autres, la société ? Est-ce un trouble du cerveau ? Des excès ? Ou s’agirait-il de malaises intérieurs récurrents qui donneraient forme à la personnalité troublée ? Les recherches prospectives et rétrospectives menées auprès d’individus souffrant de « troubles de la personnalité » suggèrent que cette nosologie devra éventuellement être repensée. En effet, les traits susceptibles de mettre en lumière un fonctionnement pathologique, comme l’impulsivité, ne dépassent que périodiquement le seuil diagnostique. Les parcours psychiatriques eux-mêmes révèlent le potentiel de transformation d’une personnalité. L’étude du dossier psychiatrique d’un individu ayant parcouru le tumultueux chemin du TPB suffit pour relever la diversité des symptômes et syndromes précédemment objectivés. Ceux-ci, bien que souvent reçus d’un oeil critique par le plus récent interlocuteur, signalent en fait la complexité du parcours d’une personnalité. Ce dossier représente probablement un registre plus ou moins précis des évolutions propres au patient, à sa personne, et souvent à sa souffrance qui l’entraînent à « satisfaire » d’autres critères diagnostiques au cours de son parcours.
Il ne faut pas ici penser que ces individus s’ingénient à trouver des souffrances diverses et variées au cours de leur vie. Le diagnostic de TPB est utile, et souvent nécessaire à la fédération d’un ensemble d’individus qui devront oeuvrer ensemble contre la souffrance. Le mal-être est réel et redoutable, quoique fréquemment incompréhensible pour l’entourage. Et cette dernière observation est sans doute la plus fondamentale. La caractéristique la plus stable d’un trouble de la personnalité s’observe dans sa tendance à véritablement perturber la communication avec les membres de son entourage privé et professionnel. Cette communication, si simple, fiable et continue pour les autres, devient tendue, hachée, violente et source de grande confusion. Toutes les manifestations du TPB, entre fracas, perte d’identité, ruptures relationnelles et élans affectifs débordants conduisent, au fil du temps, à l’impossibilité d’échanger de manière suivie avec ses proches, et avec ceux susceptibles de contribuer à l’épanouissement de sa propre vie. Il se creuse, souvent dès l’adolescence, un fossé dans lequel d’innombrables opportunités d’apprendre à être avec l’autre cèdent au profit d’un sentiment grandissant d’insécurité, d’hostilité, mais également d’attentes démesurées et continuellement déçues envers son entourage.
Devant ces questions multiples et complexes, provenant à la fois de l’expérience de la douleur dite « borderline » et de son incompréhension par l’entourage, Martin Desseilles, Bernadette Grosjean et Nader Perroud proposent enfin au public francophone un livre, simple et utile, apte à fournir des repères stables à ceux touchés de près ou de loin par le TPB. Tout au long de ce guide, les auteurs tissent la toile qui réunit les enseignements durement acquis, et essentiels à la résolution de trois questions centrales concernant le TPB : 1) Quelle est l’origine du diagnostic TPB ? 2) À quels types de vécus s’applique-t-il ? 3) Quels sont les options de traitements efficaces et pourquoi ? En évitant les écueils d’un langage trop scientifique ou trop « psy », ce guide se prête à la fois à la consultation d’un aspect précis du TPB mais aussi au soutien des vies humaines frappées par l’effet profondément perturbateur
Martin Debbané, Maître d’Enseignement et de Recherche à la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education (FPSE) depuis 2009, dirige aujourd’hui l’Unité de Psychologie Clinique de l’Adolescence, et codirige le laboratoire de neurosciences psychiatriques et de neuroimagerie à l’Office Médico-Pédagogique. Originaire de Montréal, il y obtient en 1999 son Bachelor of Arts (psychologie et philosophie) à l’Université McGill avant de se rendre en Suisse pour se spécialiser en psychologie clinique. Il complète alors un DESS à la FPSE et effectue son doctorat qu’il consacrera à l’étude du développement des symptômes psychotiques chez l’adolescent. Désireux d’établir des ponts entre la pratique clinique et la recherche empirique, il s’intéresse à la psychopathologie cognitive, aux approches psychodynamiques contemporaines, et leurs et leurs points d’articulation avec le développement cérébral. Aujourd’hui, les travaux de son équipe visent à appréhender la maturation à l’adolescence dans une perspective qui intègre les aspects cliniques, développementaux et de neurosciences cognitives et ce, dans le but de comprendre l’émergence des pathologies psychotiques et de la personnalité. Martin Debbané pratique également comme psychologue psychothérapeute d’enfants et d’adolescents, et est membre formateur de thérapies basées sur la mentalisation au Centre Anna Freud et au University College de Londres.